dimanche 16 mars 2014

Je suis porteuse du VIH, partie 2

Travailler avec des gens qui vivent avec le VIH, que ce soit au Canada ou au Burkina, est toujours quelque chose d'agréable.  Je crois sincèrement que les gens qui s'y engagent avec misérabilisme ne sont pas à leur place.  Je l'ai dit, et je le répète: la pitié tue.  Quand les temps sont durs, ou quand au contraire tout va bien et qu'on est empli de joie et d'espoir, on a certainement pas envie de croiser le regard de quelqu'un qui vous voit comme une maladie, une attente de la mort, ou un cas social.

Ce qu'il y a de particulier de travailler dans le milieu VIH, c'est tout le coté communautaire qui s'en dégage.  Ça ressemble un peu au milieu gay, ou immigrant, bref un contexte qui a ses particularités sociales, qui rapprochent ses membres, qui participe à la vie sociale, de façon vivante justement.  Danser dans un bar est agréable.  Mais danser parmi une centaine de femmes qui célèbrent un gain à leur cause, faire un souper communautaire entourée de gens qui vivent des situations similaires et qui partagent dans le rire, la bonne humeur, avec plein d'effusion, c'est autre chose.  Rassembleur.  Humain.

Il y a bien sur des moments de très grandes tristesse.  Comme dans la vie de tout un chacun.  Ces tristesses sont solitaires au moment du diagnostic.  Jusqu'à la rencontre du groupe de pairs, qui vous accepte, vous accompagne, vous nourrit et vous porte.  Il y a ces autres moments, communs, excessivement difficiles, quand on perd un membre.  Un rappel de la condition de chacun, une amputation au groupe.

Je suis, je porte en moi, tellement de ces moments. Tellement de ces personnes.  Je ne serais pas Eve Lavigne sans ces enfants que j'ai mis au monde, de mère séropositives, et qui s'en sont sortis indemnes.  Sans ces mères qui m'ont remis entre les mains le sort de leurs enfants, atteints.  Je suis la mort de Salimata, Moussa, Rachidatou.  Je suis le moment du diagnostic de tellement d'entre eux.  Je suis aussi ces djandjoba, grandes danses de célébration.  Je suis ces silences complices.  Ces fous rires.  Ces thés à la menthe dans la chaleur du soleil couchant.  Je suis ces mariages entres ceux qui se sont choisis, malgré la maladie, avec amour et foi en l'avenir.  Je suis ces miracles où la vie à repris ses droits.  Je suis eux, avec eux.  Pour eux, par eux souvent aussi.  Ils m'ont donné les moments les plus forts de mon existence, et les plus touchants de la leur.

Pour revenir à mon titre, qui vous a probablement assez accrochés pour vous amener jusqu'à la fin de cette lecture...  Suis-je porteuse du VIH?  Est-ce que j'aime les betteraves?  Suis-je gay?  Bi-polaire peut-être? Atteinte de l'hépatite?  Je vous répondrai que tout cela ne changerait absolument rien à ce que je suis profondément.  C'est à dire moi-même.  La seule chose qui changerait serait le regard que vous porteriez sur moi.  Ce regard pourrait me faire mal, me réduire, ou ne pas changer, selon ce que vous, vous êtes.  Mon propos ici repose sur ce que vous êtes VOUS, devant la différence.  Et ce sera à chacun de vous à répondre à cette question, trop personnelle pour que je réponde à votre place.

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Bonne lecture!

Je suis porteuse du VIH, partie un

Comme plusieurs d'entre vous le savez, j'ai travaillé 3 ans au Burkina Faso comme infirmière spécialisée en prise en charge des patients atteints du VIH.  J'ai fait le même boulot un an au Canada, au CHUS à Sherbrooke.  Ces expériences, de travail, mais surtout humaines, ont profondément changé ce que je suis aujourd'hui.

Tout a commencé avec cet homme que j'ai rencontré à mes 17 ans, alors que j'étais cuisinière dans un centre de détox de Montréal.  Il a pris ma défense un jour, alors que je m'étais trompé dans la commande d'un client en manque, qui a pété un câble quand il a vu un seul oeuf dans son assiette plutôt que deux.  L'homme, costaud et surtout aguerri de plus de 15 ans de vie de rue et d'héroïne, a posé la main sur l'épaule du client enragé, et lui a murmuré: "Hey, remercie la jeune fille de se lever le cul chaque matin pour que tu manges à ta faim au lieu de lui faire une scène, compris?"  Fini la bagarre.  Début de beaux sourires, et d'une amitié qui dure encore aujourd'hui, 17 ans plus tard.

L'homme quêtait pas loin de mon cégep, où j'étudiais pour devenir infirmière.  J'étais déprimée.  Pas bien. Souvent, j'allais m'asseoir a ses cotés, et je l'écoutais déclamer des poèmes d'une beauté qui tue et fait naître à la fois.  Un après-midi d’hiver, il m'a expliqué la chasse au dîner-express.  Il s'agit de se placer discrètement à une table où se trouvent les restaurants du complexe Desjardins et de surveiller les pertes.  Les restants se faisant rare, on vole le lunch d'une femme d'affaire qui a oublié de se prendre des ustensiles et laissé son shish taouk et sa salade sans surveillance.  On mange le tout avec les mains, derrière les escaliers, très vite, en surveillant la femme qui gueule haut et fort au comptoir des Libanais qui n'y comprennent rien mais qui lui remplacent tout de même son lunch.  On est stressé à mort, avec les gardes de sécurité un peu partout, mais après, on  rit à s'en éclater le cœur.  Il est beau l'Homme quand il rit.  Ça jaillit de sa gorge : toute cette intense soif de vie qui est encore en lui, malgré lui. J'ai joint mon rire au sien, et le ciel s'est soulevé un peu, nous laissant respirer, le ventre plein.

Cet homme, qui est devenu un père spirituel pour moi, s'est sorti de la  rue.  Il a même vécu plusieurs mois avec mon conjoint, mes enfants et moi.  Je savais qu'il était atteint du SIDA.  Ce serait mentir que de dire que ça ne m'inquiétait pas.  Je suis humaine.  Et mère.  Ça ne s'est pas fait sans maintes discussions avec des infirmiers spécialisés qui m'ont expliqué et rééexpliqué l'absence de risques, qui ont défait les mythes, qui ont accepté mes peurs et ont su me faire de l'éducation sans jamais me juger.  À mon rythme.

Est ensuite venu ce moment où j'ai compris que nous étions beaucoup plus dangereux pour cet homme que lui pour nous.  3 enfants, des microbes partout.  L'innocence des enfants qui ne se lavent pas les mains, ne font pas attention, des vraies machines à bisous, même quand ils ont la varicelle, la gastro, ou pire, la grippe. Cette époque d'hypervigilance était pénible pour l'Homme.  Elle lui rappelait sans cesse son statut, sa particularité.  Mais il m'a accompagné dans sa maladie.  Il a été patient, même quand je le regardais et ne voyais que mort, tristesse et manque d'espoir au lieu de le voir lui.  Le plus grand cadeau que mon ami m'a fait, c'est celui-là.  De réussir à voir l'humain là où un autre voit une situation sociale.  De voir les yeux, d'y trouver des sourires, de la vie, une âme.  Ça m'a pris des années, mais l'Homme a tué en moi toute pitié.  La pitié tue.  Elle réduit, elle déshumanise.  L'Homme m'a mis en contact avec l'humanité qui est en chacun de nous, et qui ne repose pas sur une condition physique, un handicap ou une situation économique ou sociale précaire.  L'Homme m'a ouvert un monde où je suis capable de trouver de la richesse dans les coins qui peuvent sembler en premier lieu tellement sombres.  Il m'a éveillé à la joie, dans toutes ses formes.

Je finirai ce texte, que je poursuivrai en vous parlant de mon expérience africaine dans un deuxième temps, en remerciant profondément cet homme qui m'a fait grandir au fil des années.  Qui a toujours su être là pour moi, qui m'a accepté dans mes faiblesses, mes manques, mes peurs, mon manque d'ouverture souvent, ma vision réductrice parfois.  Si j'ai souvent été jugeante et petite, il ne l'a lui, jamais été.  Il a eu foi en moi.  Il a su se livrer, m'ouvrir ses blessures, se montrer dans son entièreté en me faisant, toujours, confiance.  Sans toi mon ami, et je le dis avec tout ce que j'ai d'amour et de reconnaissance, je ne serais jamais ce que je suis aujourd'hui.

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Bonne lecture!


Sorcellerie et pendaisons au Passoré : 35 suicides sur 102 tentatives

vendredi 10 juillet 2009
L’Afrique a ses mythes et ses mystères. La pratique supposée ou vraie de la sorcellerie donne lieu à des pendaisons multiples dans la région du Nord du Burkina Faso. Dans la province du Passoré, le phénomène est entier. Le silence des uns rend atroce la souffrance des autres.
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Au Burkina Faso, la sorcellerie a arbitrairement un visage féminin bien observable au centre “ Delwendé ” de Tanghin au secteur n°23 de Ouagadougou où une centaine de pauvres vieilles femmes rejetées à tort par la société y survivent, grâce aux religieuses catholiques dans une sorte de “ prison de la liberté ”. Bien que cette injustice soit l’apanage du Plateau mossi, elle est plus manifeste et pernicieuse dans la région Nord du pays. Le phénomène des mangeuses d’âmes crée une psychose dans la province du Passoré en général et dans son chef-lieu Yako en particulier. Tel un serpent de mer et sur fond de mysticisme, la sorcellerie réelle ou imaginaire a un impact considérable sur le vécu des populations de cette partie du Burkina Faso. Pendaisons et exclusions sociales, sont autant de graves conséquences qu’elle engendre. Les accusées de mangeuses d’âmes sont publiquement violentées et subissent les sévices les plus inhumains. Lynchage, déchéance et bannissement de l’accusé conduisent à une mort sociale certaine de l’individu transformé en un zombi, voire un “animal” condamné à l’errance et à la mort.

“Lorsqu’on m’a accusée de sorcellerie et procédé à mon exclusion, j’ai vécu huit jours dans la brousse, dans la faim et la soif. Ma seule compagnie était les chants des oiseaux. N’ayant plus envie de vivre, j’ai tenté de mettre fin à ma vie en consommant les raticides. J’ai vomi durant trois jours ”, témoigne Sibidou Bassyam, la cinquantaine dépassée. Chassées de chez elles, les femmes accusées de sorcellerie sont interdites de séjour aussi bien dans leurs foyers que dans leurs familles. Considérées comme des pestiférées, il leur est réfusé la moindre assistance et le moindre geste de solidarité. “N’eut été l’existence de nos centres d’accueil, ces personnes seraient vouées à une mort certaine”, a confié la sœur Rita Tankoano, responsable du centre accueillant les femmes accusées de sorcellerie à Tema Bokin, une commune rurale du Passoré.
“ Pour me faire partir, instruction a été donnée à tous les habitants du village de ne plus m’adresser la parole. Ainsi, j’ai été privée de nourriture et d’eau”, confie Jacqueline Yili. Veuve depuis dix ans, elle a été contrainte d’abandonner ses trois fillettes et de quitter la ville “ dix jours avant que la sentence ne soit prononcée ”. Les femmes accusées de sorcellerie dans le Passoré partagent le même lot de souffrances. Entre autres, le veuvage, la polygamie avec ou sans enfants. Les champs de certaines femmes ont été détruits. D’autres ont vu leurs enfants interdits de fréquenter ou d’apporter une assistance à leurs parents, sous peine de se voir également exclus. Les pensionnaires accusent certains responsables coutumiers d’inciter les supposées mangeuses d’âmes au suicide.


“Un vieux du village a même poussé l’outrecuidance en me signifiant d’aller me suicider si je connais la honte ”, se souvient Marceline Konkobo, âgée de 68 ans. Quant à Suzanne Bamogo, les larmes aux yeux, elle se remémore les conditions dans lesquelles elle a été expulsée. Sous le poids d’un demi-siècle de vie, elle jure qu’elle quittera ce monde sans oublier ce qu’elle a subi comme brutalités et brimades. “Ils m’ont passée à tabac avec ce qu’ils avaient comme objets sous la main. J’ai reçu des coups en plein visage et j’ai beaucoup saigné ”, raconte-elle en sanglots. Avant de conclure à l’endroit de ses tortionnaires : “C’est Dieu qui jugera les actes de chacun.” Abandonnées par les siens dans leurs familles d’origine et rejetées par leurs beaux-parents, les femmes accusées de sorcellerie sont mises à l’index comme des esclaves traînant des chaînes, des malades sous quarantaine ou des êtres très répugnants. Elles ne peuvent espérer une inhumation dans le cimetière commun au village. “Nous sommes obligés de les enterrer dans les cimetières chrétiens car même mortes, elles sont rejetées ”, revèle la sœur Rita Tankoano.

Une enquête menée en 2006 sur l’exclusion sociale des personnes âgées au Burkina Faso et dans la sous-région par le Pr Albert Ouédraogo, enseignant à l’Université de Ouagadougou, indique que 78% des personnes exclues vivent avec moins de cinq cents francs par mois. Celles qui ont toujours la possibilité de se déplacer ramassent les excréments d’animaux, du bois de chauffe, cultivent du mil, du sorgho, du haricot, du fonio, du sésame, des oléagineux, des légumes, du potage et du coton. Elles écoulent difficilement leurs produits à cause des préjugés et des stigmatisations à leur égard. Les invalides sont clouées dans des maisons délabrées car frappées par l’âge, elles ne peuvent plus se déplacer et vivent des aides diverses. Celles-ci n’ont qu’une seule prière, “ implorer Dieu pour être rappelées au Ciel ”.

L’exclusion sociale pour cause de sorcellerie est si forte que l’Eglise catholique s’est vue obliger d’intervenir en recueillant les victimes pour leur éviter la mort par suicide. L’identification des mangeuses d’âmes cache tout un simulacre. Le mystère est total et entier. Aucune science exacte ne peut démontrer rationnellement la culpabilité des accusées. La preuve irréfutable n’existe pas. L’accusation se fonde sur des suppositions, des coïncidences et cachent bien des règlements de compte. Dans le domaine coutumier, des rites d’identification existent avec leurs insuffisances, car dépendant des convictions des nécromanciens, détenteurs des pouvoirs mystiques pour interroger des cadavres sur les raison de leur mort. Parmi les rites d’identification des mangeuses d’âmes, figure le célèbre “port de cadavre”.

Une pratique à polémique

Ce rite est source de bien d’incompréhensions entre l’administration judiciaire, les services de l’action sociale, la gendarmerie, la police, les mouvements des droits de l’Homme, les associations féminines d’une part et les gardiens de la coutume d’autre part. “ Un individu qui a été incapable de son vivant d’empêcher que l’on intente à sa vie peut-il animer un corps inerte au point de l’obliger à désigner son meurtrier ?," interroge Etienne Yé, le procureur du Faso près le Tribunal de grande instance (TGI) de Yako. Face à ce raisonnement juridique, l’un des ministres de Naba Sigri de Yako défie le chef du ministère public : “Si le procureur ne croit pas à la véracité de notre port de cadavre pour détecter certaines mangeuses d’âmes, nous l’invitons à tenter l’expérience, il saura que les fétiches ne mentent pas”. Le Goungha Naaba étaye ces propos défiants en relatant l’histoire d’un gendarme en service à Yako qui niait aussi l’efficacité du port de cadavre : “ Ayant assisté et même participé une fois au port de cadavre, le pandore incrédule a perdu son béret sous l’effet des forces invisibles qui le guidaient.
Il a du coup promis en son temps, d’être le porte-parole des gardiens de coutume auprès de sa hiérarchie ”. Le traditionnaliste et chef coutumier de Sancé dans la province du BAM, Paul Tennoaga, recommande au Procureur de relativiser un tant soit peu ses propos. Bien qu’ émettant le doute sur la bonne foi des porteurs de cadavre d’aujourd’hui, il confirme la possibilité d’amener un cadavre à marcher pour désigner l’auteur de sa mort. Le chef coutumier de Sancé explique tout de même que les maléfices qui animent le corps sans vie en l’obligeant à se diriger vers une direction précise sont ésotériques et tendent à disparaitre de nos jours. “Seules certaines personnes initiées maîtrisent encore ces élémentaux”, soutient Paul Tennoaga Ouédraogo. Il affirme avec foi pouvoir particulièrement dompter ces maléfices : “Je vais avec un parent à Kaya qui meurt en court de route. On décide de l’enterrer à Kongoussi. J’anime le corps à une certaine heure donnée, il va se lever et marcher de Kaya à Kongoussi et mourir de nouveau à Kongoussi. Non pas qu’il ne fût pas mort mais il a été animé par quelque chose d’autre.

Toutes ces choses ont été oubliées et sont mortes avec les personnes qui les détenaient". Le port de cadavre dans la province du Passoré a la peau dure. Les services de l’action sociale et de la gendarmerie en dénombrent plus de 100 ports entre 2007 et 2008.Les porteurs sont tellement convaincus de leurs pratiques que des sages ont même franchi le Rubicond en allant demander l’autorisation à la gendarmerie et à la police pour pouvoir pratiquer ce rite en toute liberté et se faire justice. Le procureur du Faso, Etienne Yé suggère “ le bâton et la carotte ” – la sensibilisation avant la répression - pour freiner cette pratique. Se voir désigner et qualifier de mangeuses d’âmes a des conséquences graves sur la vie des présumées. La plus probable est le choix pour les accusées de se suicider. Les chiffres sont effarants et troublants : trente-six (36) pendaisons par an. “C’est ma première fois dans une juridiction de constater un taux aussi élevé de suicides par pendaison ou par noyade dans un puit. C’est très fréquent. Au minimum une à deux pendaisons par mois”, indique le procureur du Faso. Des sources proches de la gendarmerie et de la police ajoutent que la seule ville de Yako enregistre 5 à 6 pendaisons par mois.

Des suicides en cascades

Les autres départements de Arbollé, Gomposom,Tema-Bokin et la province voisine du Kourwéogo à travers son chef-lieu Boussé, détiennent la sinistre palme de pendaisons. “ Souvent nous sommes obligés de faire appel aux rites coutumiers pour exorciser cette propension à se pendre. Cependant la situation reste préoccupante et catastrophique. Le nombre de pendaisons est très élevé. Il y a des pendus qu’on découvre 3 jours après. Il est difficile de mettre fin au phénomène de pendaison dans ces localités”, avoue une source policière anonyme. Cette même inquiétude face à un phénomène grandissant est ressentie chez le haut-commissaire du Passoré, Lamourdia Thiombiano :“ Le phénomène des pendaisons est très important car les statistiques font frémir ”.
Le nombre des pendaisons a atteint un seuil critique qui échappe à la compréhension des acteurs judiciaires. “ Je demande toujours à mes collègues si nous n’allons pas finir nous aussi par nous pendre. Il y a beaucoup de procès-verbaux de cas de pendaisons dans nos tiroirs”, craint le procureur. Le haut-commissaire, déboussolé par le phénomène, a entrepris une tournée de sensibilisation dans les neuf départements de la province. A peine rentrés de ce périple, les gardiens de la coutume ont chassé dix femmes accusées de mangeuses d’âmes. La psychose s’est encore emparée de la localité. “Il est très difficile de trouver une formule magique pour arrêter le phénomène. C’est un combat de longue haleine à travers la sensibilisation et la répression. De ce fait, il ne faut pas s’attendre à l’éradication rapide du phénomène à Yako ”, avertit le haut-commissaire.

La persistance du phénomène effraie à la fois les acteurs judiciaires et les forces de l’ordre. La gendarmerie a même spécialement affecté un agent investi uniquement de la délicate mission d’œuvrer à l’arrêt de ces tragédies humaines. Ce fut peine perdue. Le pandore spécial, combattant la sorcellerie et les suicides, a vite déchanté : “ Le problème dépasse les compétences d’un seul gendarme quelle que soit sa bonne volonté. Tous les matins, lorsque je me réveille, la première des choses est de demander au bon Dieu d’intervenir par miracle pour que je quitte Yako”. Sans même être accusés de sorcellerie, des individus optent pour des raisons totalement inconnues de mettre fin à leur vie. L’une des anecdotes tristes sur les cas de pendaison est celle d’un jeune qui s’est ôté la vie par pendaison lors de sa nuit de noces, alors qu’on l’attendait pour aller chercher la mariée.

Selon Eloi Adama Kara, attaché de santé au service de psychiatrique de l’hôpital de Yako, les tentatives de suicide sont fréquentes. Les statistiques hospitalières montrent qu’en 2007 et 2008, 102 cas pour 900 consultations. Il présente cette dérive humaine comme un phénomène contagieux au plan social qui pourrait devenir un problème de santé publique dans la localité . De sources concordantes, lorsque l’on est accusé de sorcellerie, la seule alternative possible est d’aller se jeter dans un puits tristement célèbre, situé à Songnaaba, à une dizaine de kilomètres de Yako. Les tombes des suicidés autour du trou témoigne de toute la gravité de la situation.

Le visage féminin de l’exclusion sociale Outre la sorcellerie, les raisons des rejets sociaux demeurent les infractions aux coutumes comme le meurtre par sorcellerie, les cas d’inceste, la zoophilie (faire l’amour avec un animal) et l’adultère.

A Yako, l’exclusion sociale a un visage féminin. L’étude du Pr Albert Ouédraogo , sur les personnes rejetées confirme que l’exclusion pour cause de sorcellerie concerne essentiellement les femmes, accusées de sorcellerie. Elles représentent 98% contre 2% pour les hommes. La plus jeune femme exclue a 55 ans et la plus âgée 100 ans, toutes pensionnaires des centres d’accueil de Tema-Bokin et de Yako. La durée du séjour dans ces sites se situe entre 2 mois et 30 ans. Il n’est pas facile d’être exclu(e) social(e). Face à l’ampleur de la situation, les femmes ont décidé de se défendre. Des voix se sont élevées pour interpeller les leaders d’opinion, les autorités politiques, coutumières et religieuses à une prise de conscience. Sont de celles-là, la coordination des associations féminines du Passoré qui menace de marcher, si rien n’est fait, afin de montrer son ras-le-bol contre une pratique dégradante à l’égard de milliers de femmes.

La commune rurale de Tema-Bokin à 55 Km de Yako semble détenir la flamme du port de cadavre. La vie dans cette cité est rythmée de pendaisons, suicides, mariages forcés, incestes, tentatives d’élimination etc. Pour attaquer ces maux, le maire Ernest Nongma Ouédraogo envisage les jours à venir une session du conseil municipal consacrée à une réflexion en vue de dégager des pistes pour lutter contre ces phénomènes sociaux. “ Nous sommes conscients de la situation. Ces pratiques ont la peau dure dans notre commune.
Elles ont pris de l’ampleur ces dernières années ”, a-t-il reconnu. Pour le bourgmestre, l’existence d’un centre d’accueil semble conforter les bourreaux dans leur élan de chasser sans scrupule les personnes accusées de sorcellerie car ils se disent qu’il y a un logis pour les accueillir. Les centres d’accueil et les maisons de solidarité deviennent des auspices ou un asile de retraite et constituent alors un salut pour ces pauvres vieilles. Ces demeures communautaires et collectives sont loin d’être un havre de paix pour ces exclues sociales traumatisées et hantées par les regards et les sévices accusateurs. L’exclusion sociale due à la sorcellerie est si réelle que l’Eglise catholique s’est vue obliger d’intervenir pour recueillir les victimes et leur éviter la mort par suicide. Seulement, cette œuvre salvatrice s’étouffe sous le nombre impressionnant des pensionnaires. Du coup, les aides à l’endroit des femmes sont devenues sporadiques, selon les résultats de l’enquête réalisée en 2006. Actuellement douze accusées vivent au centre missionnaire de Yako, 42 à Tema-Bokin.

Jean-Victor OUEDRAOGO (Ouedraogo _ jeanvictor@ yahoo.fr)

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