lundi 10 juin 2013

Je suis accompagnée, 2e partie

Je suis accompagnée
deuxième partie



Salimata Ouedraogo, ma très grande amie et partenaire face à la vie et ses défis.
Photo prise par Gabriel Robichaud
Salimata avait des taches sur les jambes.
Des vilaines tâches. Je ne savais pas comment lui en parler. Elle faisait des tâches sur mes murs aussi, quand elle préparait nos repas. Elle faisait des gros bordels plein de taches de sauce tomates sur le carrelage blanc de la cuisine. Ça ne me plaisait pas non plus. Ça, je savais lui en parler.

Avant Sali, je n’avais jamais pu entrer vraiment en contact avec les femmes du Burkina. Pas de porte d’entrée. Sali a été ma porte.  Comme elle faisait habituellement à manger dehors, sur un petit feu au milieu de sa cour à Yako, elle n’avait pas appris à se méfier des taches. Ni des mouches. Pas plus des odeurs. À ce moment là, moi, les mouches, je ne voulais pas les voir, ni sentir les odeurs. Je faisais la gueule. Mais Sali, elle a toujours su me tenir tête. Parce que Sali et moi, on était amies aussi. Elle savait que même si elle s’occupait de mes enfants et qu’elle préparait nos repas, elle était loin d’être une nounou. Alors elle savait me tenir tête. Et c’est pour ça qu’on s’aimait tellement, qu’on riait tellement. Je faisais des coups de gueule, Salimata répondait par des sourires. De magnifiques sourires. Je pense que c’est là que ce trouve mon point zéro. Dans l’un de ses si doux sourires.

 

 

 
On a vu plein de taches Sali et moi.
Il y a eu celles plus angoissantes de l’hôpital public de Bobo-Dioulasso. 4 patients dans la même chambre, partageant les mêmes taches, les mêmes souffrances, dans un silence assourdissant. On y mangeait du tô aussi à l’hopital. Mais Sali n’avait pas faim. Je ne suis pas capable de parler de ce qu’on a vécu dans cet hôpital plein de taches, plein de coupables, plein de fautes et de fautifs. Je n’en suis pas capable tout de suite, et je ne sais pas si je le serai un jour…

Je l’ai sortie de là. On est ensuite allées dans cette chic clinique privée de Ouagadougou, après un voyage de 7 heures avec Abou en taxi vert. Mais je ne parlerai pas tout de suite de ce dernier grand voyage non plus, ce moment de bonheur entre 2 instants graves. Entre la vie et la mort. Entre deux vraies amies. Dans une course pour la vie.




Salimata, lorsque les symptômes sont devenus de plus en plus lourds.
Il n’y avait pas de taches dans la chic clinique de Ouaga. Que du beau carrelage blanc comme celui de ma cuisine. Quand Sali est tombé dans le coma puis s’est reveillée, c’est nous qui faisions tache. Moi, à ce moment là, je me foutais des mouches et des odeurs. Des taches et de la souffrance. J’étais avec Salimata, et sa mère, venue nous rejoindre de son village en brousse. Nous étions toutes les trois, dans cette chambre carrelée impeccable avant que nous n’y arrivions, maintenant emplie de linge qui sechait sur tous les meubles, des restants de tô que Sali mangeait avec appétit, appétit que lui procurait le solumédrol qui tentait de réduire l’inflammation de son encéphale, et des rires que nous partagions encore, qui nous ont liées jusqu’à la fin. La chambre était emplie de vie, mais eux, à la clinique, il ne voyait que la mort. La mort possible de Salimata, qui ferait tache sur leurs statistiques. Alors ce sont eux qui nous ont mis dehors, quelques heures après que Sali ait émergé du coma.

Mais ils ont eu tort parce qu’on est revenu à Bobo, en autobus, et Sali n’est pas morte. Pas tout de suite. C’était moins drole en autobus. Abou n’était pas là pour que Sali et moi le prenions comme tête de turc et que Sali lui dise tout ce qu’elle pensait de sa betise d’homme et de la betise des hommes en général. Sali a vomit pendant les 5 heures du trajet qui m’ont parues tellement plus longues que celles de l’aller avec Abou. Mais je vais encore trop vite. Je suis rendue à l’instant où Moussa est venu prendre sali dans ses bras pour l’amener jusqu’à la voiture, à l’instant où Moussa m’est apparu comme un ami, un vrai, alors que je n’ai même pas parlé du moment où j’ai rencontré Salimata.








PS:  Sali et moi nous sommes battues côte à côte jusqu'au dernier jour de sa vie, ne faisant vraiment plus qu'une entité, jointe dans le même but: sa survie.  Je suis infirmière, j'ai été sa soignante.  Son amie.  Sa soeur.  Elle m'a donné le courage, la force, sa confiance totale.  Salimata est décédée le 26 mars 2010 et depuis, le silence plane autour de sa mort, mais de sa vie aussi.  La vie est trop difficile au Burkina Faso pour qu'on s'attarde aux disparus.  Tout doit aller de l'avant.  On tente d'oublier vite.  Sali savait que j'écrirais sur elle.  Elle le souhaitait autant que moi.  Analphabète, elle voulait livrer son témoignage.  Trop malade, nous n'avons pas eu le temps d'écrire en ses mots.  Il ne reste plus que les miens, et quelques photos, mais je pense avoir vécu les derniers moments de Salimata dans une telle symbiose que j'ai la justesse de ce qui a été.  Je ne sais pas exactement ce qu'a été SA réalité, mais je peux vous parler de la mienne, qui était accrochée à la sienne. 

Je ne me permettrais jamais de bafouer mon amie.  Salimata n'est pas utilisée ici.  Elle vous raconte, elle aussi.


Vous voulez en apprendre plus sur le Burkina ou l'auteure du blog?  Vous pouvez vous procurer son roman " Seul le poisson mort se laisse porter par le courant " sur www.evelavigne.comwww.smashwords.com/books/view/749075, Amazon, iTunes, Kobo et tous les autres grands distributeurs.

Bonne lecture!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire