samedi 29 juin 2013

Mourir Musulman au Burkina Faso

Je viens de vous livrer ma petite nouvelle écrite pour mon amie Salimata.  Je n'y ai pas parlé de son enterrement, qui reste une des choses les plus difficiles que j'ai eu à vivre de ma vie.  Je ne sais pas jusqu'où je peux vous décrire ce moment, il reste profondément traumatisant pour moi et les miens.  Mais je peux vous parler du processus général, qui est tellement différent de chez nous.

Laissez-moi d'abord affirmer une de mes vérités, qui n'en est pas une absolue mais bien une très personnelle: je pense qu'on s'attache moins dans un pays où la mort arpente la vie de tous cotés.  Un enfant sur six meure au Burkina avant d'atteindre 5 ans.  On les enterrera discrètement, sans grande cérémonie, dans le silence et la résiliation.  La mère sera triste, certes, mais elle remontera plus vite ce deuil que nous le ferions.  Et elle ne s'empêchera pas de vite retomber enceinte. Life must goes on.

Étant plus communautaire qu'individualiste, je crois aussi qu'on aime moins au Burkina, en tout cas, selon ma conception de l'amour, mais qu'on a infiniment plus de gratitude.  Le ventre avant le cœur.  La mort fait partie des choses prévues au Burkina.  Acceptées.  Aucune révolte.  Le mot qui est de mise ici est résignation.  Totale.  Mais plus la personne avait un rôle d'aidant dans la communauté, d'influence, d'importance, plus la tristesse et la cérémonie sera grande.  Ce sera un deuil de communauté, qui n'aura rien à voir avec la quantité d'amour que cette personne aura reçu de sa famille.  En d'autres mots, il faut être important socialement pour ne pas mourir en silence et être aussitôt oublié.  Car on oublie vite.  Très vite.  Tellement trop vite.

Alimata, mère de Salimata, juste après l'enterrement
Pendant que mon amie Sali luttait pour ses derniers souffles, inconsciente, respiration de Cheyne-Stoke, sa mère lavait ses habits.  Est-ce que Alimata aimait moins sa fille que moi, qui avais la tête de Sali posée sur mes cuisses et qui flattais ses nattes pour en imprimer la sensation sous mes doigts une dernière fois?  Bien sur que non.  Alimata était en plein rituel, un de ceux qui aident peut-être à faire son deuil.  Pour Alimata, Sali avait déjà quitté ce corps, et elle, en tant que mère, devait préparer la suite.  Que pensait-elle de cette blanche, dont les larmes mouillaient les joues sans pouvoir s'arrêter et qui parlait à cette enveloppe vide, abandonnée déjà pour un monde meilleur?  Que pensait-elle de moi lorsque les sphincters de mon amie ont lâché après la dernière respiration, et que mes valves ont sauté aussi en même temps, laissant place à des sanglots incoercibles?  Elle s'est approchée de moi, m'a pris la main, m'a regardé de ses yeux secs où brillaient la force et le courage, et m'a dit, de son très mauvais français: "Dieu donne, Dieu prends.  Toi pas pleurer.  Dieu prend."  Elle est restée longtemps à me regarder, puis est retournée laver les habits de Sali, qu'elle devait distribuer au complet à la famille dès son retour au village.



Notre voisine, venue porter ses condoléances


Chez les Musulmans, le corps doit être enterré au plus vite.  Pas de cérémonie, que de l'empressement.  D'abord, la famille prend le corps et le lave.  On lui fait ensuite revêtir des vêtements en toiles blanches et on le place dans une espèce de bâche de fortune, Puis on part au cimetière, à la va vite si on n'a pas trop d'argent, avec un corbillard et les gens qui suivent si on en a un peu plus.  Au cimetière, ce ne sont que les hommes qui s'y rendent, car on croit que ce qu'il y a à voir n'est pas pour les femmes. Trop dur. Ils n'ont pas tort.  Tous les hommes jeunes et disponibles, même ceux qui ne connaissent pas le défunt (comme les voisins de tombes qui viennent d'enterrer le leur) s'élancent vers la parcelle et se dépêchent de creuser un trou (Si la famille ne l'a pas déjà fait avant).  On place le corps au fond du trou.  (Les pieds de mon amie sont sortis du sac à ce moment, j'aurai cette image gravée dans ma tête à vie)  On place quelques briques autour.  Puis on se dépêche de recouvrir de terre.  Et on repart aussi vite.

Pas de cérémonie.  Pas de parole au nom de l'être aimé et perdu.  Rien.

Les femmes, pour marquer le deuil, doivent couvrir leurs cheveux.  Tout le monde se rend chez le défunt où on sert à boire.  Et c'est fini.  Et quand je dis fini, c'est fini.  On ne reparle plus de la personne disparue.  On ne la mentionne plus.  Elle devient tabou.  La vie doit reprendre son court.
Life must goes on.



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Bonne lecture!


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