Notre retour au Burkina Faso était une grande joie. Un projet de vie. Nous venions pour travailler dans une organisation soignant les gens atteints du VIH. On est infirmier tous les deux. C’est une des choses qui nous définit. Mon copain et moi sommes Canadiens, parents et infirmiers. Pour le reste, on fait avec. On jongle. On est pas mal malléable.
Le retour a été plus corsé que prévu. À peine 6 jours après notre descente de l’avion, mon chum a eu un accident de foot, il voulait jouer pieds nus comme les enfants avec qui il partageait le ballon. Question de fair-play. Un coup de pied mal placé lui a déchiré le tendon d’achille, et il est parti en Afrique du Sud se faire opérer le matin même où j’embarquais dans l’autocar nous menant, les enfants, Abrahim et moi, vers Bobo, une ville que je ne connaissais pas, où je n’avais pas d’ami, pas de repère, pas d’histoire. Avant l’Accident, j’étais vraiment très heureuse que notre travail nous amène dans cette ville dite plus facile de ce pays chaud, poussiéreux et aride. On m’avait décrit Bobo plus paisible et plus verte que Ouagadougou et Yako, où nous avions vécu 3 ans plus tôt. Sans l’appui de mon chum, avec 4 enfants à charge, ça devenait un peu plus anxiogène. Mais j’étais toujours contente, j’étais soulagée aussi que le père de mes enfants ne soit pas charcuté au Burkina et que les assurances payent son évacuation vers un pays plus acceptable sanitairement parlant. Ce n’est malheureusement pas du snobisme, l’histoire m’a convaincue du bien fondé de mes premières impressions sur le système de santé du pays.
Je suis donc arrivée à Bobo extenuée de chaleur et de poussière, avec ma marmaille et mes 14 valises. Mes patrons m’ont débarquée dans mon nouveau chez nous, une immense villa en périphérie de Bobo. Pas d’Arbres. Pas de voisin. Sale. Pas de matériel pour nettoyer. Quand Manu s’est mise à crier parce qu’elle avait faim, que son père lui manquait, j’ai eu envie de pleurer. J’ai fait la gueule plutôt, je lui ai donné une collation et j’ai essayé de faire du ménage avec le peu que j’avais apporté. Notre grand 8 pièces tout en prétention et en chinoiseries regorgeait de poussière, d’odeurs nauséabondes, de tâches et de coquerelles. Nous n’avions pas d’eau. La toilette ne fonctionnait pas, le frigo était vide et je ne savais pas où se trouvait le marché local.
C’est là que Sali est arrivée.
Je connaissais son copain qui avait été notre cuisinier 3 ans plus tôt et qui me l’avait référée et envoyée pour nous aider au ménage, repas et garder les enfants pendant nos heures de travail. Je n’étais pas chaude à l’idée de l’avoir chez nous : je l’avais déjà vue une fois et elle m’avait déplue. Je m’étais sentie très toubabou à ses yeux, très riche et différente. Pas de communion possible, ni d’amitié. J’ai essayé de trouver une autre fille pour faire le travail, mais celle que j’avais vue à l’œuvre pendant notre première semaine à Ouagadougou, en attendant notre transfert, s’était révélée immature et inadéquate. Je n’avais donc pas eu le choix de rappeler notre ami et de lui demander que sa copine vienne. Surtout seule avec les enfants comme je me retrouvais, je n’avais pas le choix d’essayer. Mais quand elle est arrivée, j’ai regretté ma décision. Je ne l’ai pas aimée.
Elle est apparue dans ma cour habillée à l’américaine, avec une camisole sexy, un jeans taille basse, les cheveux tressés avec des rallonges rousses. Il lui manquait une dent, une palette du haut, et elle avait l’air de se foutre de tout. À toutes mes questions, elle répondait laconiquement, avec un air un brin vulgaire : « Ça va… ». Découragée, j’ai continué à faire du ménage et je lui ai donné des sous pour qu’elle aille acheter de quoi faire tenir les enfants jusqu’au souper. Pendant qu’elle bourrait mes cocos bios de chips, biscuits et friture, je menais une lutte serrée contre les coquerelles de la garde-robe de ma chambre. En défaisant les valises ensemble, je lui ai dit qu’elle pouvait prendre la chambre du 2e étage pour la semaine, le temps de se trouver un appartement à Bobo. Je n’étais pas contente.
C’est après le souper pris au centre-ville avec d’autres coopérants aussi perdus que moi, quand je l’ai vue endormie sur sa chaise, au bout de la table, Manu dormant dans ses bras, que je me suis admise que Salimata n’était peut-être après tout que très fatiguée des 8 heures de bus qu’elle avait du faire pour venir me rejoindre, elle qui venait de Yako pour m’Aider à m’installer le jour même de mon arrivée. Je me suis sermonnée sur mes jugements habituels à l’emporte-pièce et me suis soulignée que, toute la journée, elle avait travaillé sans relache, avec gentillesse, et avait occupé les enfants pour me laisser frotter tranquille seule avec mon anxiété. Je me suis promise de commencer le jour suivant à neuf, sans préjugés. N’ayant pas encore assez de lits pour tous, Salimata a dormi avec Maïka pendant que Manu prenait la place de son père dans notre nouveau lit, pour notre première nuit à Yéguéré, notre nouveau quartier.
Vous voulez en apprendre plus sur le Burkina ou l'auteure du blog? Vous pouvez vous procurer son roman " Seul le poisson mort se laisse porter par le courant " sur www.evelavigne.com, www.smashwords.com/books/view/749075, Amazon, iTunes, Kobo et tous les autres grands distributeurs.
Bonne lecture!
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire