mardi 18 juin 2013

Je suis accompagnée, partie 4

Je suis à l’aéroport de Ouagadougou.  J’attends mon départ pour la France.  Au moment d’Acheter mes billets, j’avais besoin d’une pause.  D’une bouffée d’air.  Les derniers mois ont été durs.

Je suis assise là, et je n’ai plus envie de partir.  Ce n’est pourtant que pour deux semaines.  Camping en Espagne avec une amie et ses copines qui m’attendent en France.  J’y vais pour mon amie.  Pour sa présence. Pour ses oreilles.  Je ne sais pas si je vais être capable de mettre des mots sur ce que nous avons vécu.  Les mots, à haute voix, peuvent vous trahir.  Vous déposséder.  L’expérience de l’Afrique n’a de sens qu’entouré de ses habitants.  Ils en sont le sens.

Mais voilà, je suis là, anonyme parmi tous ces blancs, les deux pieds encore en terre africaine mais déjà dans une réalité toute occidentale.  Salimata n’aurait jamais pu prendre cet avion.  D’ailleurs, si elle l’avait pu, je n’aurais pas besoin de le prendre aujourd’hui.  Elle serait encore en vie.   La plus grande injustice se voit dans les capacités que nous avons à faire face à la maladie.  Et à la mort aussi.  Quand viendra mon heure, j’aurai des analgésiques.  De la compassion.  Des droits d’entrée.  Sali avait comme unique arme son si généreux sourire.  C’était son salut.  Son unique carte de crédit.



Je m’étais promise de ne pas me la jouer  « J’arrive d’un pays très différent et je suis en choc ».  C’est fatiguant et même pas amusant.  De toute façon, le choc n’est jamais là où on l’attend.  Par contre, je suis incapable de retrouver le beat.  L’attitude.  Je souris trop.  J’ai un sourire africain très louche.  Et alléchant.  Pour tous ces hommes maghrébins du quartier populaire de Marseille.  Ils ont perdu l’habitude de leur continent eux aussi.

Je souris parce que Salimata s’est jointe au voyage sans me prévenir.  C’est peut-être dû à son foulard, que je porte aux cheveux.   Ou la fatigue qui me fait délirer un peu.  Peu importe, elle est bien là, discrète et terriblement intriguée.  Elle pose peu de question.  Mais ces yeux!   Grands ouverts.  Surpris.  Scrutatifs.  Elle s’arrête devant les vitrines.  Regarde ces jeunes couples s’embrasser fougueusement, sans honte, dans les endroits publics.  Les chiens aussi.  Leur diversité.  Certain avec des poils dans les yeux.  D’autres en forme de saucisse.  Le top, c’est les mini-jupes.  Il y en a partout.  Chaque fois, elle se cache la bouche avec les mains et me donne un coup de coude.

-« Regarde Eve!  Regarde! »
-« Hum hum… »
-« Mais ça!  Est-ce que c’est normal? »

Et là, on rit comme des gamines.  C’est comme ça avec Sali.  On n’a pas besoin de grands évènements ou d’excuses.  On crée nos joies.  On s’invente mille et une raisons de rire.  On se fait drôlement marrer.  Les passants eux, encore plus ces messieurs arabes assis seuls aux différents cafés croisés sur notre chemin, n’ont rien pigé.  Ils n’ont pas compris que je suis accompagnée.  Je pense qu’ils s’imaginent même que mes sourires leurs sont adressés.  Alors ça devient encore plus drôle et Salimata se fiche de ma gueule pendant que j’essaie de me dépêtrer de tous ces collants qui veulent m’inviter à toutes sortes de propositions les plus loufoques les unes que les autres.

Salimata, le lendemain de son diagnostic.  Elle n'avait rien vu venir.  Elle a pleuré toute la nuit.  J'ai passé des heures en cuillère avec elle.  Et ce lendemain matin, on s'est levées, prêtes à se battre.  Pour la vie.  Nous avons commencé par aller nous promener en campagne avec Simon, les enfants et Moussa, sans oublier le coopérant Gabriel, qui a été formidable avec Salimata lui aussi.  Cette journée restera gravée dans ma mémoire à jamais.

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Bonne lecture!

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